« Ce qui est passé a fui ; ce que tu espères est absent ; mais le présent est à toi. »
Anonyme.

C'était une belle après-midi d'été et les oiseaux piaillaient gaiement dans les arbres. La chaleur était lourde et pesait sur tous les membres de la jeune chatte occupée à traquer une souris dodue qui mangeait une graine sans penser au danger qui la menaçait. Tapie dans les fourrés, Fleur de Sang passa sa langue rugueuse sur ses moustaches et fit rouler ses muscles dorsaux sous sa fourrure blanche. Le vent lui portait le doux fumet du gibier naïf qui allait finir en repas dans sa gueule aux crocs tranchants. Son souffle était lent et contrôlé pour ne rien faire frémir autour d'elle. Soudain, le félin sauta de sa cachette et atterrit sur le rongeur qui n'eut pas le temps de couiner que les mâchoires de son assassin se refermaient sur sa nuque. L'assaut avait été radical, comme toujours. Il fallait dire que Fleur de Sang était une chasseuse redoutable qui avait fait la fierté de son clan et surtout de son mentor lorsqu'elle n'était pas encore solitaire. Un instant, elle eut une pensée pour ses anciens camarades et leur dédia silencieusement sa proie fraîchement capturée. Elle dépeça goulument celle-ci et commença à se délecter de son festin. La chair était tendre et odorante, la faisant saliver tandis qu'elle finissait les derniers morceaux de souris. Elle enterra la carcasse et se lécha les babines en fermant à demi ses yeux d'un rouge sanglant.

Après avoir fait un brin de toilettes, la jeune chatte décida d'aller trouver une autre proie bien goûtue. Elle n'avait pas mangé les deux jours précédents car elle avait entreprit de se faire une jolie tanière dans laquelle elle pourrait venir se coucher régulièrement et ainsi éviter de passer l'hiver dans la neige et le froid. Alors que pensivement, elle se demandait ce qu'elle ferait de son hiver si elle ne trouvait pas la moindre proie. Mourir de faim ? Sans nul doute, oui...

Un fumet odorant vint soudainement lui chatouiller le museau : une grive. Il était rare d'en trouver sur le plateau et aussitôt, la jeune chatte se tapit, à contre sens du vent. Elle ne pouvait pas laisser passer une telle proie ! Elle se crispa brusquement, une autre odeur semblait aller avec celle de l'oiseau. Le Clan du Chat... que faisait-il ici ? Elle voulut rebrousser chemin avant de croiser le chat responsable de cette odeur si familiaire. mais ses pattes restèrent clouée au sol face au spectacle qui se déroula devant elle. Une grive courrait, poursuivie de près par un chaton d'à peine six lunes. Un apprenti du Clan du Chat ? Au moins, il ne risquait pas de la reconnaître. De plus, elle imaginait très bien que son ex-Clan avait étouffé l'existence d'un chat comme elle parmi ses membres dès l'instant où elle avait fui... Secouant légèrement la tête, elle se demanda pourquoi l'oiseau ne s'envolait pas une bonne fois pour toutes. L'examinant un peu mieux, elle remarqua qu'il avait une aile cassé. Probablement le jeune chat n'avait pas réussi à lui asséner le coup de grâce, c'est pourquoi d'un bond agile, la chatte cloua la grive au sol et lui trancha la gorge avec force. Le goût du sang envahi légèrement sa gueule et elle se lécha les babines.

Remuant sa longue queue dans un mouvement d'ondulation, elle s'assit à côté de la proie et planta ses yeux sur le petit chat. Six lunes, à peine. Elle en était certaine. Pensivement, elle se dit que son frère et sa soeur devaient eux aussi être devenus apprentis, à présent. Son coeur se serra en se disant qu'elle ne les verrait jamais devenir loyaux et forts. Retenant un long soupir, elle reporta son attention sur le chaton. Il ressemblait à son petit frère : blanc et le dessus du corps tigré de noir et de gris avec les yeux ambrés. Il semblait musculeux malgré son jeune âge...

Elle posa une patte sur la grive et l'attira vers elle-même comme pour signifier qu'elle lui appartenait. Elle le toisait de son regard si effrayant car malgré sa petite taille pour son âge, elle restait bien plus grande que lui.

- Tu n'as rien à faire ici, jeune apprenti du Clan du Chat, dit-elle d'une voix sans émotion et même légèrement froide.

La jeune chatte continuait de toiser le jeune chat avec froideur, son regard unique et terrifiant planté sur lui comme une façon de prendre le dessus sur lui. De toutes façons, il était clair qu'au moindre conflit, elle le battrait à plates coutures et elle espérait bien que l'apprenti s'en serait aperçu. Elle se refusait à combattre un ancien camarade de clan mais s'il fallait donner une bonne leçon à ce petit, elle le ferait. Il lui répondit sèchement et son sang se mit à bouillir légèrement, ses pupilles fendues s'étrécissant sous son irritation.

Le regard menaçant, elle prit la proie entre ses crocs et creusa un trou dans lequel, elle enterra la grive. Elle s'assit à l'endroit où l'oiseau se trouvait et planta ses yeux dans celui de l'apprenti, le défiant d'oser tenter de l'attaquer. Elle passa sa langue sur ses moustaches, le rouge de ses yeux étant semblable au sang qu'elle serait capable de faire verser si quiconque marchait sur ses plates bandes. Entendant le grognement du chaton et voyant la nervosité de celui-ci, l'ancienne guerrière se mit debout sur ses pattes, montrant les dents et hérissant son poil épais.

- Je l'ai tuée. Pas ma faute si les guerriers du Clan du Chat ne savent plus entraîner leurs apprentis... Cingla-t-elle avec véhémence. Maintenant, rentre chez toi, petit. Ce n'est pas ton territoire, tu as largement dépassé la frontière.

Son ton était toujours aussi distant et froid mais malgré qu'elle voulut rester anonyme, elle n'avait pas réussi à retenir sa connaissance de son ancien territoire. Elle se rassura en se disant que si le jeune matou n'avait pas senti son odeur ténue de Clan du Chat, c'est qu'il devait être bien peu expérimenté et qu'il ne tilterait pas qu'elle en savait trop pour une solitaire. De plus, il ne semblait pas avoir reconnu qui elle était. Ses griffes effilées creusèrent de fins sillons dans le sol, signe de danger pour le chaton. Elle lâcha un feulement dissuasif, le fusillant de son regard de sang. Sa longue queue tigrée fouettait l'air et son dos rond signifiait qu'elle serait prête à défendre crocs et griffes sa proie.

Soudain, elle se figea en humant une odeur âpre. Elle cracha par terre et rentra ses griffes, cessant de menacer le petit chat. Sans explication, elle lui ordonna furieusement :

- Fuis. Fuis, vite ! L'exorta-t-elle.

Sans explication, elle tourna brusquement le dos à l'apprenti et se montra bien plus menaçante et bien plus dangereuse que lorsqu'elle défiait l'inconnu. Elle miaulait avec colère comme pour effrayer un intrus, sa queue battait redoutablement l'air. De nouveau, elle cracha à l'apprenti de fuir en espérant qu'il fuirait sans savoir le pourquoi du comment elle semblait alarmée.

Fleur de Sang sentit que le jeune mâle n'allait pas s'enfuir et comprit qu'elle-même ne pourrait pas partir : elle devrait l'affronter sinon l'apprenti n'avait aucune chance de survivre. Crachant rageusement, elle espéra l'effrayer par ses grondements menaçants mais le jeune blaireau était téméraire et vint à la charge. Ayant une mauvaise vue, l'animal ne semblait pas avoir vu le chaton et cela arrangea la chatte qui lui griffa furieusement le museau. Valeureusement, elle sa battit contre lui, le griffant, le mordant et lui arrachant même quelques poils. Elle prit un coup de patte sur le flanc et vola à un mètre. Aussitôt, elle se remit sur ses pattes, oubliant la douleur et lui sauta sur le museau, lui collant plusieurs coups de griffes jusqu'à le faire reculer. Il saignait abondamment et partit en grognant. Essouflée, Fleur de Sang se laissa tomber assise et passa sa langue sur la plaie pour en nettoyer le sang et la regarder d'un peu plus près. Ce n'était pas profond mais elle devait malgré tout la cautériser. Pensivement, elle ferma à demi les yeux, se remémorrant ce que les guérisseurs utilisaient pour arrêter les saignements. Elle frémit en entendant la voix du chaton la sortir de ses pensées. Elle pensait qu'il se serait enfui mais il semblait bien que non.

Elle rouvrit les yeux et le regarda avec froideur. Il lui demandait son nom et la remerciait. Elle grogna sans répondre réellement à ses interrogations. Une chose était certaine, il semblait effrayé par elle mais aussi reconnaissant et paniqué à l'idée qu'elle soit blessée. Pourtant, elle n'avait presque rien et depuis qu'elle était solitaire, elle avait vécu bien pire. Surprise, elle referma la gueule en comprenant que l'apprenti l'avait découverte. Elle fronça les yeux, ses pupilles s'affinèrent et son regard devint presque menaçant.

- Oui. J'ai fait parti de ton Clan mais tu n'devais être qu'un rejeton à l'époque où j'étais encore une fière guerrière du Clan. Et ces traîtres n'ont jamais du évoquer mon existence passée avec eux, à servir et à respecter le Code du guerrier, sa voix était haineuse, elle crachait chacun de ses mots. Alors je crains fort que tu ne connaisses jamais mon nom ! Et pire encore ! Je pense qu'il vaudrait mieux pour toi que tu n'évoques jamais notre rencontre ! Tu serais sans doute toi aussi... non rien, laisse tomber et va-t-en !

Elle préféra se taire, se rendant compte qu'elle déversait son venin sur une personne innocente et surtout, bien trop jeune pour avoir connu les infamies à son égard. D'ailleurs, elle était surprise qu'il n'ait pas été plus effrayé que cela à la vue de son regard sanguin. Sans doute était-il trop jeune et trop curieux pour s'en formaliser. Lorsqu'il grandirait, le chaton deviendrait sans doute aussi supersticieux que ses camarades de clan. Elle se détourna de lui avec colère et ses griffes creusèrent légèrement le sol lorsqu'elle les rétracta. Sa queue claquait l'air avec force et la jeune chatte au blanc pelage semblait bien fermée à la conversation. Au fond d'elle, elle eut une pensée pour son frère et sa soeur en se retenant de demander des nouvelles d'eux au jeune chaton. Sans oublier son mentor et sa mère à qui elle pensait très souvent malgré le temps et la distance.

Fleur de Sang remarqua que le chaton était encore là et hérissa le poil. La chatte était magnifique mais son regard la trahissait et annihilait toute chance pour elle d'être considérée comme jolie.

- Je t'ai dit de t'en aller ! Cracha-t-elle. Pourquoi tu restes ? Hein ? Tu veux mon nom ? D'accord mais oublie-le vite, c'est un conseil pour toi ! Fleur de Sang ! Voilà, content ?!

La jolie chatte savait parfaitement que jamais il n'aurait entendu ce nom de sa vie et elle se ravisa, s'en voulant d'avoir ainsi attaqué verbalement le chaton qui n'était en rien coupable de ses malheurs passés. Elle détourna les yeux et coucha légèrement les oreilles.

- Excuse-moi, tu n'y es pour rien, reprit-elle de sa voix glaciale. Et toi, c'est quoi ton nom, je t'ai peut-être vu bébé.

Sa queue claquait toujours le sol avec véhémence. Le chaton lui rappelait beaucoup son petit frère et à nouveau, elle se retint de demander comment allait Petit Automne ainsi que sa petite soeur.